Utiliser le graphisme pour mieux communiquer, dépasser la barrière de la langue, aborder des sujets difficiles et, finalement, aider ceux qui en ont le plus besoin. C’est cet objectif que poursuivent depuis plusieurs années les étudiants d’e-artsup Lyon avec l’association Forum réfugiés. Une collaboration qui a permis plusieurs réalisations graphiques plaçant toujours l’humain au cœur du projet.
L’histoire de la collaboration entre le campus lyonnais d’e-artsup et Forum réfugiés débute en 2020. L’association qui agit pour l’accueil, l’accompagnement juridique, social et sanitaire et l’intégration des réfugiés a ouvert un centre à Villeurbanne un peu différent de ceux dont elle assure la gestion habituellement. « Ce n’est pas un hébergement classique pour tous les demandeurs d’asile mais des places dédiées aux femmes victimes de traite des êtres humains et de violences notamment conjugales », raconte Maryse ORBAN, chargée d’accompagnement pour l’association.
Dans cette structure, tout était à créer, notamment les outils en lien avec la traite des êtres humains. « Nous voulions concevoir un livret d’accueil à destination des femmes accueillies, pour leur souhaiter la bienvenue, leur expliquer en images les missions du centre et pour qu’elles se sentent immédiatement accompagnées », poursuit-elle. « Or, pour l’illustrer, nous n’avions pas les compétences en interne, ni de budget pour faire appel à des professionnels. On s’est alors demandé si des écoles de graphisme pouvaient nous venir en aide et c’est comme ça que j’ai découvert e-artsup. »
LE DESIGN COMME « SOLUTION HUMANISTE »
Si cette collaboration est indispensable pour l’association, elle l’est aussi pour e-artsup qui, régulièrement, cherche des associations, institutions et entreprises pour challenger ses étudiants et leur faire découvrir la conception d’un projet avec un client. Sous l’égide de Camille Boileau, intervenante sur de nombreux sujets au sein de l’école (graphisme, couleurs, mise en page, direction artistique, conceptualisation de projet), une première promotion d’étudiants commence à travailler sur le livret d’accueil et à se confronter à un autre univers au contact de Forum réfugiés. « Les femmes du foyer étaient présentes à toutes les réunions avec les élèves et donnaient leur avis, partageaient leurs connaissances et leur vécu en tant que victimes, détaille Maryse Orban. Cela a permis aux étudiants d’en apprendre davantage sur la traite des êtres humains, un sujet qu’ils ne connaissaient pas, pour ensuite mieux illustrer le parcours de ces femmes. »
Encore utilisé aujourd’hui par l’association, ce livret d’accueil symbolise la richesse de cette expérience pour les futurs professionnels formés par l’école. « Si l’on reprend la définition de l’Alliance française des designers, le design est « un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux », rappelle Camille Boileau. « Évidemment, dans la publicité purement marchande qui demande avant tout de vendre un produit et de relancer le désir d’achat compulsif, il est moins question de problématiques humanistes ou d’amélioration de la société, mais davantage de promotion d’une marque. Or, même si c’est très intéressant pour les étudiants de s’y plonger pour leur vie professionnelle, c’est tout aussi pertinent pour eux de revenir aux fondamentaux, à la base du design à travers un tel projet qui permet de leur expliquer en quoi leurs compétences et leur savoir ont une vraie utilité, un vrai sens, afin de pouvoir contribuer à aider — et peut-être dans le meilleur des cas à sauver des vies. »
DES PROJETS SENSIBLES ET PORTEURS DE SENS
Au fil du temps, la collaboration entre e-artsup et Forum réfugiés s’est étoffée de nouveaux projets. En 2021 par exemple, les étudiants ont permis à l’association de se doter d’un outil permettant de soutenir la parole des femmes nigérianes ayant été victimes de traite dans le cadre des formalités liées à leur demande d’asile. « Comme ces femmes sont anglophones et n’ont pas toujours un niveau d’éducation suffisant pour leur permettre d’assimiler des informations écrites, les étudiants d’e-artsup devaient réussir à trouver comment utiliser le graphisme pour mieux communiquer des informations en lien la demande d’asile, précise Maryse Orban.
Autre projet marquant, celui qui a vu les étudiants développer une sorte de jeu de société permettant aux femmes issues de la traite des êtres humains d’Edo et de Delta Afrique d’expliquer par l’image leur situation aux médiateurs. « C’est un sujet d’ordinaire très complexe qui, à l’aide de ce dispositif — imaginé par l’élève Mylène Chazalon — devient plus accessible, estime Camille Boileau. Plutôt que formuler avec des mots des choses très dures, ces femmes choisissent les illustrations associées. C’est moins frontal et cela a déjà justement permis à plusieurs personnes au sein de l’association Forum réfugiés d’obtenir leurs papiers. »
UNE COLLABORATION QUI NE CESSE DE GRANDIR AVEC ET POUR LES RÉFUGIÉS
Enfin, dernièrement, les étudiants d’e-artsup Lyon ont mené de front deux nouveaux projets : d’un côté, la mise à jour et l’amélioration du livret d’accueil avec l’ajout de nouvelles informations, et de l’autre, la réalisation d’affiches destinées à être placées dans chacune des chambres du centre afin que les femmes puissent connaître le protocole pour se mettre en sécurité en situation de danger ou en cas d’intrusion d’une personne extérieure dans le foyer.
En 5e année à e-artsup, Louis-Alexandre Louzada a été missionné pour faire le gabarit servant de support à sa mise en page, un rôle essentiel pour gérer et rendre plus cohérent l’ensemble graphique produit par les étudiants malgré les différentes sensibilités exprimées. « Au-delà des contraintes de design, le projet était également déterminé par d’autres facteurs comme, par exemple, le coût et la technique d’impression car l’association doit pouvoir imprimer elle-même le livret sur une imprimante de bureau et l’agrafer dans la foulée, souligne-t-il, heureux d’avoir pu participer à une telle aventure. Le fait que les destinataires du livret soient directement sur place a permis de directement échanger avec eux. Pouvoir les rencontrer et visiter les locaux du foyer a rajouté une profondeur au projet, à l’humain : on veut encore plus pouvoir aider ces gens sur lesquels on a mis un visage. »
En parallèle de ces deux projets, des étudiants de deuxième année se sont également attelés à la conception de posters destinés à décorer les chambres et les lieux de vie gérés par l’association, chaque occupant pouvant alors choisir l’image qu’il préférait pour égayer les murs du foyer. Un défi qui a particulièrement plu à Violette Gruillot, étudiante en 2ᵉ année, dont la création prend la forme d’une fenêtre donnant sur de verts pâturages. « Il fallait que les personnes puissent se reconnaître et se projeter dans nos réalisations, note l’étudiante. Le dialogue en amont avec les réfugiés s’est très bien passé même si nous devions nous montrer très efficaces dans nos explications car ce n’était pas une discussion “professionnelle”, dans le sens où nous n’avions pas en face de nous des clients avec des notions de graphisme. Nos posters se devaient d’être faciles d’accès et c’est pour cela que nous voulions représenter les petits bonheurs simples de la vie ! »
« ON DIT SOUVENT QU’UNE IMAGE VAUT 1 000 MOTS »
Comme Louis-Alexandre, Violette apprécie la dimension atypique de cette collaboration entre une école et une association à vocation humaniste. « De nos jours, parce que les gens ont de plus en plus besoin d’aide, cela devient essentiel de se poser les bonnes questions pour resituer sur ce qui est vraiment important dans la vie, juge-t-elle. Ce genre de projet nous permet justement de réaliser à quel point c’est important d’aider ceux qui souffrent et, aussi, à quel point le graphisme possède un pouvoir assez exceptionnel dans la société. » Un avis que partage son homologue de 5ᵉ année, séduit par le défi créatif : « On dit souvent qu’une image vaut 1 000 mots, mais là, c’était particulièrement vrai ! L’impact du design se fait particulièrement ressentir dans ce livret et cela nous fait revenir à l’essentiel. Il a fallu un gros travail sur les pictogrammes afin qu’ils soient accessibles à différentes cultures en plus de faire comprendre le message principal. Cela a soulevé de nombreuses questions : comment traduire par l’image pour des populations étrangères ? Quel code couleur adopter ? Par exemple, en France, nous sommes habitués à associer le rouge au « non » et le vert au « oui », mais est-ce le cas dans d’autres pays ? C’est qui fait le sel de toute la problématique de la traduction visuelle et de cette recherche de consensus ! »
Le discours tenu par les étudiants ne peut que réjouir leur enseignante. En effet, pour Camille Boileau, le pari semble réussi : « Dans le milieu social, notamment celui en lien avec les personnes réfugiées, il n’y a vraiment pas de budget pour payer un graphiste ou une agence alors qu’il y a vraiment des besoins énormes de communication, ne serait-ce que parce que ces associations s’adressent à des gens venant des quatre coins du monde, qu’ils soient réfugiés politiques ou issus de la traite des êtres humains. Ces personnes ont besoin de comprendre les règles et des procédures juridiques souvent extrêmement complexes, d’où l’utilité des métiers de graphiste et de directeur artistique : ils sont là pour travailler sur plusieurs supports servant de médiation entre les réfugiés et les travailleurs sociaux, à la fois pour comprendre leur psychologie, les aider dans les procédures juridiques et à comprendre les règles de vie du foyer, s’informer sur les financements de l’État, etc. C’est un travail très complet d’un point de vue pédagogique et qui se veut aussi un peu plus éthique et empathique. »
E-ARTSUP : « UN BEAU SYMBOLE » POUR LES PERSONNES RÉFUGIÉES
Enfin, du côté de Forum réfugiés, on ne voit également que du positif à cette relation tissée avec les étudiants d’e-artsup au rythme des projets successifs. D’autant plus qu’à en croire Maryse Orban, ces multiples collaborations ont une autre vocation très éloignée du pur graphisme. « Comme il est question de sujets parfois sensibles, avec des personnes ayant des parcours de vie difficiles et qui ne savent pas toujours l’exprimer avec des mots, les échanges menés avec les étudiants ont également eu un impact positif sur le plan thérapeutique, estime la chargée d’accompagnement. Je me rappelle, par exemple, de trois femmes avec qui je me suis rendue au sein d’e-artsup pour aller à la rencontre des étudiants. Le fait de pouvoir transmettre leur opinion, leur avis, a aidé à les revaloriser. En effet, ce sont des femmes qui, de par ce qu’elles ont pu vivre, ont une confiance en elles un peu escamotée. Cela leur a fait du bien qu’on les écoute. D’ailleurs, pour certaines réfugiées qui n’ont pas forcément un haut niveau d’études, intervenir dans une grande école est aussi un beau symbole. Le campus en lui-même est aussi important pour elles : l’école est assez impressionnante quand on y pénètre, avec de nombreux projets étudiants présentés, de beaux locaux, propres et studieux. Cela ne ressemble pas tellement à la plupart des écoles qu’elles ont connues petites. Elles se sentent importantes. »